Intégration de la préparation mentale dans l’entrainement de l’athlète. Initier le changement

 

1. Pourquoi parler ici d’entrainement mental plutôt que de préparation mentale ?

Modifier ses habiletés ou aptitudes mentales est complexe. La notion de changement est difficile et souvent accompagnée de périodes de doutes. Pour cela, il est nécessaire de « s’entrainer » mentalement, c’est-à-dire mettre en place des habitudes nouvelles, de nouveaux comportements grâce à la répétition pour que ceux-ci deviennent automatisés et puissent être utilisés en situation de compétitions et/ou en situations difficiles. Il n’existe pas de « bonnes » ou de « mauvaises » habitudes mais seulement des habitudes, pour la plupart déclenchées par des stimuli, informations ou ancrages. Ces déclencheurs ont été enregistrés consciemment ou inconsciemment, ils déclenchent un comportement, une décision volontaire ou non, une réaction ou un geste adapté ou non.

Les habitudes sont ancrées à vie et nous ne pouvons quasiment pas les modifier. Par contre, nous avons la possibilité d’en créer de nouvelles, qui à force de répétitions prennent la place des précédentes. Il est donc nécessaire pour le joueur de s’entrainer mentalement. Une fois les nouvelles habitudes acquises, il est important d’être conscient qu’un jour « différent des autres », en état de fatigue prononcée ou d’énervement accru, les anciennes habitudes peuvent ressurgir, ce qui implique que l’entrainement mental soit permanent.

Nous ne pouvons pas dissocier l’athlète de l’individu. En effet, l’athlète fait partie de l’entité, « individu ». Par conséquent, il existe un aller/retour permanent au sein de cette « pluralité personnelle », le travail mental devant s’étendre à toutes les facettes de la personne. Ainsi, le travail mental doit dépasser le simple cadre du jeu. S’entrainer mentalement ne veut donc pas dire s’entrainer uniquement sur le court, mais aussi tous les jours en dehors du terrain de tennis. C’est pourquoi il est complexe pour l’entraineur de tennis d’être aussi « préparateur mental ». La mission de celui-ci est d’entrainer et d’amener le joueur à un niveau de performance optimal sur le terrain. Entrainer implique une posture et un relationnel spécifique, une relation entraineur/entrainé dédiée à l’activité. La posture du préparateur mental est différente et ponctuelle, au service du joueur et de l’entraineur, avec un œil extérieur, dans l’ombre. Son but est de rendre le joueur autonome. La relation est donc différente. Ceci étant, l’entraîneur a la possibilité d’intégrer dans ses pratiques, des outils d’entrainement mental afin de potentialiser la performance du joueur et sa propre pédagogie. L’objectif de ce chapitre est de présenter un ensemble de connaissances à destination de l’entraîneur de tennis pour l’aider dans ce rôle en lui proposant des pistes de travail concrètes et sérieuses. Ainsi, les entraineurs peuvent intégrer un travail d’optimisation de performance dans leur pédagogie et bénéficier d’une vision beaucoup plus large que celle uniquement accordée à la technique, au physique et aux résultats du joueur. Le cas échéant, il peut aussi se faire accompagner par un préparateur mental, comme cela se fait beaucoup à l’étranger depuis un certain temps.

2. Place de l’aspect mental dans l’entraînement du joueur de tennis

L’aspect mental est encore minoritaire aujourd’hui en France, même si sa place tend à prendre de plus en plus d’importance. La technique reste encore trop souvent le premier axe d’apprentissage en France alors que c’est moins le cas dans beaucoup d’autres pays où le jeu et l’efficacité priment. Il me semble qu’actuellement nous prenons du retard par rapport à beaucoup d’athlètes et d’entraineurs étrangers qui ont compris et intégré ce travail depuis une bonne dizaine d’années. Sans conteste, la technique est un outil fondamental et elle doit être travaillée et retravaillée sans relâche afin de l’automatiser. Toutefois, elle reste un moyen, un outil au service du jeu et de l’intention. Or, on constate que les habitudes culturelles liées à la place de l’apprentissage technique chez les entraineurs de tennis restent profondément ancrées dans la pédagogie et dans la profession. Pourtant, il est capital de prioriser l’intention vers l’efficacité dans la mise en place des schémas neuropsychologiques au niveau cérébral. Il ne s’agit évidemment pas de minimiser la place de la technique dans l’entraînement mais procéder différemment peut amener de nouveaux comportements plus performants. En musique, par exemple, la technique et la vélocité sont fondamentales, mais ce sont bien la qualité du son et la transmission des émotions qui priment. Etre « prisonnier » de sa technique, si maitrisée soit-elle, peut empêcher l’efficacité et la transmission des émotions. Le rôle de l’apprentissage de la technique est de pouvoir l’utiliser en fonction de n’importe quelle situation et de pouvoir s’en détacher.

3. Pourquoi intégrer l’entrainement mental dans les entrainements et dans la pédagogie de l’entraineur ?

Le temps de jeu effectif représente 10 à 30 % du temps d’un match de tennis. Par conséquent, le temps au cours duquel le joueur n’est pas effectivement en train de jouer et où il fait face à ses propres émotions et réflexions est colossal (entre 70 et 90 % de la durée d’un match). Paradoxalement, à l’entraînement ce rapport est très souvent inversé ! Ce constat débouche sur une première piste de réflexion de taille : l’entrainement correspond-il aux exigences rencontrées en match ? Combien de temps les joueurs et les entraîneurs consacrent-ils à travailler et à aborder les phases de « non jeu » : préparation juste avant le match ou récupération juste après, changements de côté, phases entre les points, juste avant de servir, juste avant de retourner ?

Un autre paramètre doit être considéré : pour pouvoir utiliser une habileté ou une aptitude, il faut l’avoir travaillée en amont un certain temps, en dehors et sur le terrain. Il ne suffit pas de faire trois respirations abdominales avant de servir ou d’utiliser un peu l’imagerie mentale au changement de côté en visualisant un coup pour que cela soit efficace. Le travail de répétition et de mise en place reste fondamental, ce qui nécessite qu’il soit intégré dans la programmation au même titre que les autres facteurs de performance du joueur. En incluant cette démarche dans sa pédagogie, l’entraîneur va pouvoir transmettre un grand nombre d’éléments de différentes façons : par son discours, par les situations mises en place, par les rétroactions et surtout par l’utilisation du « non-verbal » adapté au joueur. L’exploitation des différents canaux sensoriels permet d’optimiser la communication avec le joueur.

Si l’entraineur est « habité » et convaincu de l’utilité de ce travail, ses interventions seront plus percutantes et adaptées. Par conséquent, il est nécessaire de se poser plusieurs questions afin de définir votre démarche et votre profil d’entraîneur (Miley et Crespo, 1999).

– Qui souhaitez-vous être comme entraineur ?

– Comment souhaitez-vous réagir dans telle ou telle situation ?

– Quel travail désirez-vous proposer selon ce que vous cherchez à obtenir et en fonction des caractéristiques de votre joueur ?

Cela implique de modifier ses pratiques en tant qu’entraîneur et accepter de se remettre en question. Modifier ses habitudes, sa pédagogie est affaire de changement et comme chacun le sait le changement est difficile et ne se résume pas à une affaire de volonté. Combien d’entraineurs se sont déjà filmés en séance ou ont fait intervenir quelqu’un extérieur pour s’auto-confronter et modifier leurs propres pratiques ? Accepter le changement, modifier ses pratiques, déterminer comment on apprend (donc réussit et échoue) et intègre les choses, tout cela n’est pas facile pour le joueur comme pour l’entraineur. Le changement entraine une rupture, une perte de repère, une désorganisation momentanée et des doutes qui provoquent une profonde révolution dans ses pratiques. Pour modifier son approche de l’entrainement, il s’agit d’en finir avec une conception où « l’entraineur dans sa tour d’ivoire » diffuse de manière hétéronome un savoir dont il pense être le seul à connaître le chemin de la réussite. Il est fondamental de reconsidérer le public des jeunes joueurs de tennis avec leurs caractéristiques propres, leurs évolutions, leurs motifs d’agir, leurs codes sociaux et relationnels (Gaillard, 2014), afin de mieux appréhender l’entrainement et sa programmation. Aujourd’hui, il est compliqué d’appliquer une pédagogie d’entrainement traditionnelle car les repères des jeunes ont évolué sous l’influence des nouvelles technologies. Le rôle et la place des parents et des éducateurs ont été bouleversés dans notre société actuelle (Gaillard, 2014).

Comme l’affirme Jean Paul Gaillard (2014), « le pire est porté :

– par nos nostalgies et notre repli sur nos modèles éducatifs et pédagogiques que l’on défend comme des vérités universelles et atemporelles, alors-même que nous les sentons devenir obsolètes et de moins en moins efficaces,

– par notre répulsion de l’inintelligible et par notre focalisation craintive sur ce qui disparait, associée à une cécité sur ce qui émerge et remplace ce qui disparait.

Le meilleur est porté par un regard de curiosité et d’inventivité sur ce qui émerge et qui remplace ce qui disparait. Ce type de regard nous impose un retour à l’apprentissage par essai-erreur, sachant que l’erreur nous est par définition douloureuse à supporter. Cette posture réclame donc de la part de l’entraineur et du joueur du courage et le développement d’un sentiment de responsabilité personnelle ».

D’un point de vue de la pédagogie d’enseignement, il semble intéressant de passer de l’hétéronomie à l’autonomie. Selon Gaillard (2012), l’hétéronomie désigne une production de savoirs qui est l’apanage de spécialistes. Elle se base sur une « pédagogie d’enseignement directive fondée sur la soumission de l’élève, mais aussi du maître, à un savoir extérieur : « je t’explique ce que tu dois faire comme je l’ai appris… ». A l’inverse, l’autonomie correspond à la construction de savoirs à partir de sa propre expérience. « Elle implique une pédagogie d’initiative et d’expérimentation fondée sur la co-production d’un savoir personnel, sans cesse négocié avec les savoirs existants : « montre-moi et fais-moi comprendre comment tu le fais… » (Gaillard, 2012).

Stéphane Limouzin