Les personnes extérieures au marathon peuvent penser que courir 42,2km relève du masochisme !
L’image d’un athlète pris de crampes ou vomissant sur le côté de la route, à l’agonie en franchissant la ligne d’arrivée (avec cette impression qu’il soulève deux parpaings au lieu de ses jambes) pose en effet la question de l’intérêt d’une telle pratique. Voir un sportif blanc comme un cachet d’aspirine, avec des lèvres violettes et les joues creusées donne, il est vrai, davantage l’image de la souffrance que celle du plaisir…
Cet article n’a pas pour objectif d’évoquer les pathologies possibles liées aux sports répétitifs, aux pratiques extrêmes. Nous pensons ici à la dépendance/addiction à l’activité physique (ne pas supporter de ne pas courir) encore appelée bigorexie, à la dysmorphophobie (crainte obsédante d’être laid, malformé), à l’anorexie athlétique (faire de l’exercice de façon excessive pour contrôler son poids : recherche du corps parfait), etc. Les psychologues ont d’ailleurs énormément de travail face à ces comportements déviants. Cet article n’a pas non plus pour objectif de discuter de l’athlète de très haut niveau, dont souvent la rage de vaincre provient d’une réelle souffrance (la résilience : renaître de sa souffrance).
Non, nous souhaitons juste montrer, en toute simplicité, qu’avec une bonne vision de la pratique sportive et une bonne préparation mentale, il est possible de courir un Marathon avec une forte motivation intrinsèque, source d’un profond bien-être ! Tout est histoire d’équilibre, de norme, de juste milieu… et la psychologie du sport est alors d’une aide précieuse !
Qu’entend-on par motivation intrinsèque ?
Selon les spécialistes de la motivation, on peut distinguer deux grandes forces qui poussent à l’action :
-le joggeur peut courir pour des raisons extrinsèques : perdre du poids, conserver sa fierté (vouloir gagner un défi avec un collègue de travail), rechercher la reconnaissance sociale…
-le joggeur peut courir pour des raisons intrinsèques : c’est l’activité même, la course à pied, qui est source de plaisir.
Les recherches montrent clairement que la motivation extrinsèque ne contribue pas à une motivation persistante dans le temps. On remarque toutefois que certains commencent la pratique avec des raisons externes et basculent ensuite sur une motivation intrinsèque, ce qui finalement peut être considéré comme positif…
Quelles peuvent donc être ces sources de plaisir dans la course à pied ?
Les différents types de motivation intrinsèque :
Il est classique de distinguer 3 types de motivation Intrinsèque (MI).
-La MI à l’accomplissement : réussir ses fractionnés, voir son kilométrage semainier augmenter, constater que les performances s’améliorent…
-La MI aux sensations : ressentir davantage de légèreté, avoir une fréquence cardiaque basse et apprécier cela…
Ces sensations sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont personnelles… On peut avoir l’impression d’être bon « à son niveau », par exemple un coureur à 5 minutes au kilomètre sur un marathon peut avoir l’impression de courir « super » vite, que ses jambes déroulent, de « claquer la perf »… alors que celui à 4 minutes peut ressentir de la lourdeur et pourtant il va objectivement beaucoup plus vite. Ceci permet de conserver sa motivation quand les temps diminuent avec l’âge (si l’on est centré sur des objectifs de processus et non de résultat… voir + bas).
On pense généralement à ces deux types de motivation mais on occulte bien souvent le troisième et pourtant cela peut être une forte source de MI :
-La MI aux connaissances : découvrir que nous avons une Vitesse Maximale Aérobie : VMA (et aller acheter les magazines de course à pied pour essayer de comprendre) et de ce fait là lire des documents sur les processus physiologiques, sur les outils de mesure : les tests existants, acheter un cardiofréquencemètre puis une montre GPS… Se rendre compte ensuite qu’il faut optimiser d’autres facteurs pour progresser : mieux s’étirer et donc rechercher les différentes méthodes d’étirements (étirements activo-dynamiques, méthodes avec contraction-relâchement…), les techniques de gainage, l’hydratation, la nutrition… Le coureur devient un expert. Exemple : le soin des pieds (comment couper ses ongles, comment râper les cornes, à quelle période par rapport à la compétition…), quel type de pied (pied pronateur, supinateur, universel) et donc quel type de chaussure ? Etc.
Il existe des outils comme l’EMS-28 (Brière et al, 1995) permettant d’évaluer par sport quels types de motivation caractérisent une personne. Le sujet obtient ainsi ses scores de MI à l’accomplissement, aux sensations, aux connaissances mais aussi ses scores sur les différents types de motivation extrinsèque et amotivation (qui ne sont pas l’objet de cet article).
Les facteurs de MI
Dans une perspective eudémoniste de la santé, défendue notamment par Ryan et Deci (2001), le bien-être est indissociable de la satisfaction des besoins fondamentaux de compétence, d’autodétermination et d’appartenance sociale. Ces 3 facteurs sont fortement sollicités lors d’un marathon.
-le sentiment de compétence : se fixer un objectif difficile et l’atteindre, constater au cours de ses entraînements ses temps progresser, etc, favorisent cette impression de s’accomplir, d’efficacité grandissante.
-le sentiment d’autodétermination : remarquons que ce sport ne nécessite aucun apprentissage, il n’y a pas d’obligation d’apprentissage de techniques et la liberté individuelle est forte : aller courir les jours et aux heures souhaités, se fixer ses propres courses, son propre temps à réaliser, etc, contribuent au fait de se sentir responsable, d’être acteur de ses actes. La course à pied est un sport avec un nombre de non licenciés assez impressionnant, preuve de cette envie de fonctionner en liberté.
-le sentiment d’appartenance sociale : courir avec des amis du village, créer des liens forts, se retrouver lors de courses, avoir l’impression avant, pendant et après la course que tous appartiennent à la même famille, etc, créent de la cohésion sociale, donnent le sentiment d’appartenir à un groupe.
Différentes techniques de préparation mentale permettent d’optimiser la motivation intrinsèque, en voici deux exemples :
La fixation d’objectifs
Il s’agit d’apprendre par exemple à se fixer des buts de processus (terminer avec de bonnes sensations, en savourant pleinement) et non de résultats (battre le temps de telle personne)… à se fixer des objectifs précis, difficiles, à long terme avec des sous-buts intermédiaires (descendre sous les 3h dans 2 années mais d’abord réaliser plusieurs 10km en un peu moins de 40’ dans les 6 prochains mois…). Voir fiche pratique « les principes de la fixation d’objectifs », ou les articles « fixation d’objectifs » ou encore « se fixer des objectifs sportifs » de Nathalie Crépin et Florence Delerue sur le site du CROPS.
Les routines de performances
Il s’agit d’apprendre à gérer son activation et son stress, de quelques jours avant la compétition à l’instant « t » de la course en ayant les bons comportements, les bonnes pensées, le bon dialogue interne, les bonnes images, être capable de switcher lors de pensées négatives, d’être centré sur soi et sur les infos pertinentes de l’environnement, de respirer avec le ventre… (voir également la fiche « les techniques de préparation mentale » sur le site du CROPS).
Fonctionner de manière optimale lors d’un marathon peut amener l’athlète à ne pas ressentir ce fameux « mur » et à atteindre l’état de Flow, état d’expérience optimale, état de grâce (Csiksentmihalyi, 2004).
Conclusion
De nombreux marathoniens courent avec cette motivation intrinsèque décrite dans cet article. Chez eux tout est plaisir et finalement peu de moments sont perçus comme de la souffrance, si ce n’est une course très mal gérée.
On peut donc dire que les efforts, perçus comme de la souffrance parfois par des spectateurs extérieurs à ces pratiques, sont finalement facteurs de bien-être chez les marathoniens. Ne pas fournir d’efforts et dire que la course à pied c’est dur, c’est en fin de compte céder à la facilité. Certains revendiqueront l’hédonisme : se faire plaisir et ne pas aller «bêtement suer sur le bitume ». Le plaisir est certes un élément du bien-être mais il n’est pas suffisant, faire des efforts pour courir 42,2km est une véritable source de bien-être. Effort et bien-être ne sont donc pas antinomiques mais complémentaires.
Il est alors tout à fait normal, dans ce processus, de vouloir passer du 10km au semi-marathon puis au marathon. Une fois son premier marathon réalisé, cela n’est pas pathologique, si ce n’est pas un besoin compulsif, si cela ne s’effectue pas au détriment de la vie familiale… de vouloir tenter de grands marathons : Paris, Amsterdam, Londres, Chicago… A remarquer encore une fois que bien souvent ces sorties se font en groupe (d’amis coureurs, en famille) et qu’elles sont associées à des visites culturelles, encore une fois : éléments de motivation intrinsèque !
Les souvenirs de son arrivée à Central Park à New York, le passage sous la porte de Brandebourg à Berlin… deviennent des images de référence, des ancrages émotionnels positifs réutilisables lors de moments difficiles.
Et il n’est donc pas anormal de vouloir ensuite s’offrir des épreuves mythiques dans des sports identiques ou proches : la diagonale des fous, l’Ultra Trail du Mont Blanc, l’ironman d’Embrun, etc. Tant qu’il ne s’agit pas de besoin compulsif, d’une recherche infinie d’endorphines, d’exutoire familial et/ou professionnel, tant que l’athlète sait s’arrêter quand il sent une blessure arriver, tant qu’il ne manifeste pas de signes de sevrage physique et psychologique lors d’un arrêt du sport obligatoire… tout cela est finalement très humain et sain. Nous ne trouvons généralement pas malsain de voir un jardinier, amateur de fleurs, agrandir son jardin avec de nouvelles variétés et consacrer davantage de temps à sa passion.
Alors si ce n’est pas encore fait, à quand votre prochain marathon ?
Yancy Dufour
Références :
Brière, Nathalie M., Robert J. Vallerand, Marc R. Blais et Luc G. Pelletier. 1995. Développement et validation d’une mesure de motivation intrinsèque, extrinsèque et d’amotivation en contexte sportif: l’échelle de motivation dans les sports (EMS). International Journal of Sport Psychology, vol. 26, p. 465-489.
Csikszentmihalyi M. (2004). Vivre. La psychologie du bonheur. Pocket.
Ryan R.M., Deci E.L. (2001). On happiness and human potentials: a review of research on hedonic and eudaimonic well-being. Annual Review of Psychology, 52, p.141-166.